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la modélisation et les modélisations
dimanche 18 novembre 2012, par
La modélisation est un objet qui sollicite les sens par la perception de traces et de signes mettant en route une démarche intuitive empirique. Cette intuition conduit à une expérience vécue. L’expérience, par le fait de l’activité de pensée, réunit les différentes informations et conduit au concept.
La démarche introduite par la modélisation se veut une activité qui laisse, dans un premier temps, une place importante à la spontanéité. Elle ne se présente pas sous la forme d’une méthode à appliquer rigoureusement, mais bien plus comme un entraînement à libérer sa pensée afin de la mettre au jour, à accepter les manques, à s’autoriser à envisager simultanément plusieurs objectifs, plusieurs perspectives et à les mettre en relation. En effet, nos idées sont trop souvent rejetées parce que trop multiples et trop désordonnées. L’activité de production de modélisations est précisément l’exercice qui entraîne à gérer cette multiplicité et ce désordre. Ceci afin de faire émerger des idées enfouies, presque oubliées, que l’on croyait même ne pas posséder.
Dans cette activité, il s’agit de réveiller ses connaissances mais aussi de rechercher les relations qui les lient, la façon dont elles s’enchaînent les unes aux autres. Ainsi, réaliser une modélisation, c’est élaborer un tout, une globalité d’éléments en interrelation, une forme bouclée qui pose problème.
Une modélisation ne peut être une représentation linéaire ni avoir une forme arborescente, elle se présente toujours à travers une complexité, un réseau à l’intérieur duquel les relations ont autant d’importance que les éléments eux-mêmes. La modélisation se présente comme un terrain de découverte, elle se veut une aide à la recherche active - opposée à l’attente passive d’une hypothétique pensée claire. Une telle attente, en effet, a souvent tendance à tourner sur elle-même et à se laisser entraîner dans un tourbillon unidirectionnel, une recherche obsessionnelle. Afin de s’éloigner de cet enfermement, il est nécessaire de faire appel à l’entraide mutuelle.
Une modélisation est, en effet, un système à la fois ouvert et fermé. Il est fermé pour soi, il représente un tout qui possède sa cohérence et sa cohésion, il se présente donc avec une certaine idée de protection. Mais il est aussi ouvert et vulnérable s’il est confronté à des informations qui vont désorganiser son harmonie. C’est un système ouvert et dynamique qui reste en perpétuel mouvement, que ce soit par des apports venant du concepteur ou du fait de confrontations avec d’autres systèmes venant de l’extérieur.
Toutes ces transformations que peut subir un tel système sont nécessaires à son intelligibilité et à son évolution vers une nouvelle modélisation plus riche, plus complexe mais aussi plus proche de la réalité, de l’idée qu’elle veut transmettre.
L’image d’une modélisation pose un problème qui apparaît souvent hermétique, inabordable et incompréhensible. Ce n’est qu’après un certain effort que cette image va dévoiler son intentionnalité, son champ d’errance et de liberté, son domaine de pensée et de réflexion.
Toute perception, toute idée crée une représentation mentale qui, si elle est pensée, conscientisée, peut se traduire par une modélisation. Le fait même de vouloir donner une trace écrite à cette image mentale participe de la construction de la modélisation. C’est en voulant projeter sa pensée que celle-ci s’organise et se modélise. Cette progression du flou de la forme “haloïque” de notre modélisation mentale vers des idées plus claires - au travers d’une image dont l’architecture apparaît plus nettement - se trouve facilitée et s’effectue en passant par une production écrite et/ou orale. À ce niveau, les éléments seront essayés, corrigés, adaptés et surtout reliés entre eux de façon à ce que, ensemble, ils forment un tout cohérent perceptible et appréhendable globalement.
Pour le dire autrement, modéliser, c’est passer du multiple plus ou moins flou et inorganisé à un tout structuré en une unité perçue comme indivisible, indestructible et intelligible. La création de modélisations produit des sentiments de satisfaction et de puissance associés à la production “d’idées claires”, mais en même temps un sentiment d’insatisfaction lié à l’incomplétude de la production, à son manque de précision.
La modélisation est un outil de médiation qui pose problème, qui interroge et qui intrigue, c’est un outil qui aide à penser le multiple, à montrer ce qui ne peut se dire et à dire ce qui ne peut se penser. Son apparente complexité et sa délimitation créent un espace de recherche, un espace de discours et de réflexion pour produire du sens, pour préparer des actions. C’est un support, une aide à la production de textes écrits.
Pour tenter d’illustrer ce processus de modélisation, je prendrai comme exemple la situation qui suit la projection d’un film. A la suite de cette projection, le spectateur se trouve dans l’impossibilité de donner une forme verbale à sa pensée, il a le sentiment de posséder une forme “haloïque” de modélisation où passé et futur se mêlent dans un présent flou. Les faits, les événements sont presque tous là, à divers niveaux de présence en fonction de la propre histoire de chacun. Les faits objectifs tangibles ont été les mêmes pour tous les spectateurs et pourtant chacun en a sa propre modélisation, qui ne pourra se communiquer oralement que par parties discontinues. Celles-ci vont progressivement se relier pour donner une cohérence à l’organisation événementielle, pour en donner une représentation. C’est, de fait, pour cette modélisation reconstruire, un espace et un temps englobant le maximum et non la totalité des situations dans le but de découvrir une cohérence qui soit satisfaisante pour soi. Mais si cette modélisation est satisfaisante pour l’un des spectateurs, il peut la conserver tout en sachant qu’elle n’est pas forcément le reflet exact de la réalité, mais seulement une lecture, une interprétation, une reconstruction personnelle des faits marquants et des perceptions prégnantes. Pour que cette modélisation soit plus objective, il faudra la confronter avec d’autres, afin de lui permettre d’évoluer, d’être transformée sous la pression de nouvelles informations qui seront ou non acceptées par le concepteur, on pourrait même dire par le système lui-même.
Modéliser, c’est produire pour soi afin que cette production soit confrontée aux autres. Il s’agira alors de la transformer, de la compléter et de la complexifier tout en conservant la maîtrise de son organisation globale et de sa cohérence.
Toutes les modélisations ne se présentent pas sous une même forme, on peut distinguer plusieurs types de modélisations :
– Les modélisations « forme algorithmique » décrivent un processus, une suite d’opérations ou d’événements, successifs et/ou simultanés, conduisant d’un point de départ à un point d’arrivée. Le processus représenté peut être une opération arithmétique, un acte professionnel, un circuit institutionnel, un récit,…
– Les modélisations « champ conceptuel » se présentent sous la forme d’un réseau de mots et de relations traduisant les idées organisatrices et le champ conceptuel propres à une idée, une notion, un problème, un discours.
– Les modélisations « organisation notionnelle » constituent un support de travail (mise en activité et recherche) conduisant à la découverte de notions et de leurs relations à l’intérieur d’une même discipline (scolaire, professionnelle,…).
La réalisation de modélisations, en particulier, les modélisations « forme algorithmique », met à contribution la « topologie ». La topologie est une branche relativement récente des mathématiques. Pour faire simple, on peut dire que la topologie est l’étude de la continuité. Par exemple, on peut lier ou coller l’une avec l’autre les extrémités d’une corde pour en faire un cercle et, sans la couper ou la disjoindre, la transformer en carré. Si nous avions enfilé des perles numérotées sur la corde, elles conserveraient leur ordre. Cela serait aussi vrai si nous utilisions un élastique au lieu d’une ficelle : nous pourrions alors modifier la distance entre les perles, mais pas leur ordre.
Dans la création des modélisations « champ conceptuel », il est, en outre, fait appel aux apports de l’analyse factorielle des données, laquelle permet de placer les mots en suivant une règle de proximité sémantique. C’est-à-dire : placer, dans l’espace, proches les uns des autres, les concepts qui ont des significations proches, et plus éloignés ceux qui sont antagonistes. La systémique tient également une place importante dans la production de modélisations de ce type, pour appréhender la complexité de l’environnement d’un concept.
Pour donner une idée de l’importance de la dimension esthétique propre à toute modélisation de quelque type que ce soit, je serais tenté de dire que l’élaboration d’une modélisation se rapproche de l’écriture d’un poème : pour mieux traduire ses émotions, on s’autorise certaines licences, on enfreint certaines lois afin de dégager une émotion, une esthétique qui pourra aider l’approche de l’indicible, de ce monde presque incommunicable que le poète vit pleinement et qu’il met tous ses efforts à partager avec d’autres. Le poète tente de construire ce qui peut se montrer et qui ne peut se dire. Lire un poème, ce n’est pas être uniquement à l’écoute, ni dans une observation attentive, c’est pénétrer la pensée de l’auteur à travers soi. Un poème, comme une modélisation, ne s’appréhende pas comme un objet, il se partage.
Si une modélisation pose problème, un problème donne naissance à une modélisation, laquelle peut aider à la découverte de solutions, à la résolution. Comme le dit J.L. Le Moigne : « modéliser, c’est à la fois identifier et formuler quelques problèmes en construisant des énoncés et chercher à résoudre ces problèmes en raisonnant par des simulations. En faisant fonctionner le modèle-énoncé, on tente de produire des modèles-solutions ».
Réaliser une modélisation, c’est
– rechercher et découvrir les éléments intuitifs qui sont nécessaires à la construction de la connaissance, du concept abstrait que l’on veut communiquer. Les éléments intuitifs se traduisent par des signes perceptibles produisant une connaissance intuitive immédiate, partielle mais personnelle. Les relations établies entre ces éléments, ainsi que leur organisation, élaborent un système qui aide à donner une vision globale et généralisante de la situation, qui aide à assimiler, comprendre et accepter le concept.
– éclairer l’objet afin de percevoir tous ses reliefs pour donner plus de sens à l’ombre qu’il projette.
– au-delà de l’exercice de géométrie organisant des signes simples et distincts les uns des autres, c’est aussi se réaliser, mieux se connaître dans le plaisir de créer.