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alphabétisation des adultes

vendredi 17 mars 2006, par Henri Planchon

Nous posons comme principe que l’alphabétisation des adultes ne peut se calquer sur les apprentissages de la lecture et de l’écriture tels qu’ils interviennent lorsqu’on s’adresse à des enfants. Aussi proposons-nous de présenter ces séances comme des séances de "mathématiques". Il s’agit d’apprendre des mathématiques pour apprendre à écrire et à lire, ce qui permet de s’adresser à un plus large public, lequel n’est plus de fait considéré comme totalement analphabète.

Il est compréhensible et normal qu’un adulte tienne à conserver son statut d’adulte et son autonomie, même durant le temps d’un apprentissage. Souvent, il ne lui est pas facile de se soumettre à des règles dont il ne perçoit pas immédiatement tous les avantages. Les efforts qui sont demandés ne seront acceptés que si la personne y trouve un intérêt et y voit l’occasion d’un "plus" de reconnaissance (reconnaissance de soi par soi comme de soi par les autres).

Nous posons comme axiomes sous-jacents à notre démarche les principes suivants :
 d’une part, le sens reste un préalable indispensable à tout investissement dans un effort d’analyse et de décodage,
 d’autre part, la confrontation à une situation problème est à même d’engendrer une motivation qui mobilise l’attention, la réflexion et l’imagination.

Ainsi cette démarche se démarque-t-elle de ce qui peut se faire avec des enfants, lorsqu’on leur fait découvrir le sens seulement après qu’ils se sont soumis à un effort de "décodage", ce qui souvent peut conduire l’enfant à croire, par exemple, qu’il suffit de déchiffrer un texte pour le comprendre.

Nous nous démarquons d’une approche qui irait du plus simple au plus compliqué, démarche fondamentalement sélective où les premières étapes dissimulent les difficultés qui vont suivre et où sont progressivement éliminées les personnes qui ne peuvent suivre : démarche linéaire, contraignante et enfermante qui oblige à suivre un chemin préalablement balisé, où l’on ne passe à la troisième étape que si les précédentes ont été franchies avec succès, autrement dit : une démarche qui ne favorise guère le développement de l’imagination et de la création.

Dans notre approche, nous préconisons de placer la perception de l’idée globale avant sa formalisation, de confronter à la complexité avant de chercher le simple, de découvrir le sens avant de s’attacher aux structures qui le sous-tendent, de percevoir une totalité avant d’entrer dans les détails.


Comment mettre en place une telle méthodologie ?

Concrètement, intervient tout d’abord l’exploitation d’une "modélisation" présentée aux apprenants, qui provoque, qui interroge, qui pose problème. Il s’agit d’un document graphique composé de signes et de symboles. Ce document de départ est appelé à être commenté et complété par l’apprenant lui-même afin qu’il puisse se l’approprier. A la suite de quoi il peut se référer à la modélisation pour produire un discours oral, organisé, structuré, contextualisé, personnalisé. Ce discours, repris par écrit, devient alors un support d’apprentissage pour la lecture, avec des retours réguliers sur la modélisation. Le remplissage de "bulles" disposées à des endroits significatifs sur la planche va soutenir différents exercices d’écriture. Certaines modélisations comportent des zones contenant de l’écrit ; elles sont exploitées en parallèle avec des structures homologues qui peuvent être complétées dans un autre langage (langue vernaculaire,...), de façon à faciliter le passage d’une langue à une autre.

Exemple à partir de la « modélisation-conte » :

voir aussi l’article consacré à cette planche

Dans ce graphisme, complexe et déroutant de prime abord, on considère différents personnages : le rond, le carré, le triangle et trois parallélogrammes.

Ces personnages parcourent des chemins, indiqués par les tracés rectilignes fléchés, et se déplacent de zone en zone. Six zones sont figurées : au centre on trouve une zone hachurée, en haut de la feuille on a deux zones, que nous nommerons A (à gauche) et B (à droite) ; au dessous de la zone A se trouve une zone nommée C, au dessous de C on a la zone D qui est un rectangle dont la longueur est verticale et qui se situe en bas et à gauche de la feuille. En bas et à droite on repère la zone quadrillée.
Écriture des lettres à l’intérieur des zones.

Parcourir le chemin du carré, depuis la sortie de la zone hachurée jusqu’à la zone quadrillée, rajouter des flèches pour préciser le chemin.
Produire une description orale du cheminement du carré.
Remarquer la présence d’accolades qui marquent le déplacement simultané de deux ou trois personnages.

Quel type de personnage pourrait représenter le carré ? Que pourrait représenter le carré-barré ?

Faire de même pour le chemin du rond, etc.

Quels sont les personnages qui se trouvent à l’intérieur de la zone quadrillée lorsque le rond y pénètre ?

De la zone quadrillée sortent ensemble le rond et le carré, que s’est-il passé à l’intérieur de cette zone avant leur sortie ?

etc.

Au fur et à mesure de l’analyse de la planche, chaque élément (zone, personnage) prend sens en fonction de ses relations avec les autres. Une signification globale et cohérente prend peu à peu forme, en une activité où s’articulent constamment le symbolique (respect de la structure donnée par la planche) et l’imaginaire (élaboration d’une situation ou d’un récit contextualisés).

Ce type de modélisation permet d’exercer une approche de la lecture, de s’entraîner au passage du symbole au discours cadré par le graphisme. Il s’agit d’une sorte de "proto-lecture" qui donne sens aux signes et à leur organisation.




Autre exemple sur la modélisation « équerres »

modélisation 1

voir aussi l’article consacré à cette planche

Cette modélisation permet un entraînement à l’écriture des lettres (chaque point étant repéré par une lettre dans l’ordre alphabétique, les segments étant repérés par les lettres de leurs extrémités). Un travail de topologie, comme sur la modélisation précédente, pourra également être mené (haut, bas, droite, gauche...) ainsi que l’apprentissage des notions de verticale et d’horizontale, de parallèles et de perpendiculaires, ou encore le repérage de différents triangles et figures géométriques simples.




Autre exemple sur la modélisation « les grands nombres »

voir aussi l’article consacré à cette planche

Cette modélisation va donner l’occasion de s’entraîner à l’écriture des chiffres et des nombres, d’approcher la notion de quantité associée au nombre, la mesure de longueurs de segments, l’étude de trajets ramenés à une succession de segments (représentation topologique).


Ces différents exemples montrent comment des supports mathématiques permettent d’entrer dans le monde de l’écrit, de l’abstrait, du symbolique, de l’esthétique et de l’éthique (écoute de l’autre, entraide, travail d’équipe).