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La schématisation au service de la compréhension du fonctionnement de la langue

mardi 21 mai 2013, par Claude Bédouin

En s’appuyant sur la démarche ACIM, l’utilisation de la schématisation permet de développer l’attitude réflexive sur le fonctionnement de la langue. Le support présenté en premier lieu s’appuie toujours sur une partie de textes proposés (littérature de jeunesse) ou produits (production écrite) par les apprenants.

LES RENCONTRES

C’est en 1989 que j’ai rencontré Henri Planchon. Il était professeur de mathématiques à l’IUFM d’Auteuil pour les formations de l’Adaptation et de l’Intégration Scolaire (AIS). À cette époque, j’étais loin d’imaginer qu’il était encore possible de progresser en mathématiques et que cette discipline allait m’intéresser à nouveau. Henri Planchon nous a accompagnés pour que nous puissions emprunter un autre chemin que celui, tout tracé, de l’enseignant qui sait, qui dit, qui évalue, qui tranche et qui ne comprend pas ce que l’élève ne comprend pas...

Mais peut-être que ce changement de posture n’était pas dans ma "zone de proche développement" durant cette année de formation CAPSAIS option F. Je choisissais donc de travailler mon mémoire sous sa direction non sur le thème ACIM, mais plutôt sur la programmation (BASIC, LOGO).
L’année suivante, en responsabilité de groupes d’élèves de SES, je me lançais non pas sur la mise en activité à partir des planches ACIM, mais en utilisant un livre publié par Henri Planchon avec lequel on pouvait mettre les élèves en réflexion sur des situations de géométrie. Ces supports laissaient une grande latitude aux élèves, enfin c’était l’objectif de l’auteur. Mais je voulais tellement tout prévoir que je limitais l’espace de penser et de propositions des élèves.
Ce n’est que deux ans plus tard que j’ai osé expérimenter une des planches (Équerre) avec des élèves de SES.
Et là, surprise, mes élèves que je connaissais si bien, pour lesquels j’avais réellement posé un jugement de valeur, m’ont présenté un tout autre visage...
N’entendez pas par-là que la démarche soit "magique" ou "qu’elle soit "LA" démarche à utiliser, ni qu’elle soit l’unique, la seule, l’incontournable... Elle vaut simplement la peine que l’on s’arrête pour comprendre de quoi il s’agit et peut-être l’intégrer en partie, dans un premier temps, à ses réflexions de pédagogue.
C’est pour cela qu’une vingtaine d’années plus tard, je me lançais dans une recherche [1] de master avec Christiane Montandon pour essayer de comprendre ce que cette démarche ACIM pouvait apporter aux enseignants qui s’adressaient à des élèves en difficulté grave et durable.

LES SCHÉMATISATIONS DE GRAMMAIRE

LES ORIGINES

C’est en 2004, lors d’une réunion de travail entre conseillers pédagogiques ASH (Sylvie Delmas, Pierre Égal et moi) qu’est née la première trace de schématisation : encadrer les différents mots d’une phrase. Notre réflexion concernait déjà à l’époque les problèmes posés par les anaphores. En effet les reprises anaphoriques, posant de nombreuses difficultés aux lecteurs/scripteurs précaires, provoquaient de riches échanges sur la prise de conscience de leur fonctionnement. Nous travaillions parallèlement sur la suppression des pronoms ou plutôt leur remplacement dans les énoncés de problèmes. Ce travail permettait de limiter les pertes d’informations et les incompréhensions des publics auxquels les enseignants option F s’adressaient.
À ces cadres se sont naturellement et rapidement ajoutés des liens, centre d’intérêt des échanges provoqués.

LES ÉVOLUTIONS

Depuis ces schématisations n’ont cessé d’évoluer et de s’enrichir. Elles ont permis de traiter les fonctions, les chaînes d’accords en nombre (horizontales et verticales) en même temps que les reprises anaphoriques, puis les chaînes d’accords en genre (horizontales et verticales), la nature des mots et l’indication de la personne pour les verbes conjugués.
Leurs formes ont évolué en fonction des objectifs, de l’âge et des compétences des apprenants. Pour illustrer ce propos, il est très intéressant de pouvoir placer la marque du pluriel dans un cadre lorsque l’on travaille avec des élèves de cycle 2 (CP) :

Extrait 11

cela devient moins pertinent avec des élèves de collège :

Extrait 12

Les obstacles à la compréhension de textes restent les utilisations des chaînes référentielles et des indices fournis par le genre et le nombre des mots.
Les apprenants sont généralement capables de dire quelles sont les informations que l’on peut donner par l’observation des différents constituants de la phrase lorsque l’enseignant les questionne. Ils ont plus de mal à se passer des interrogations des enseignants pour le faire spontanément (passage d’une activité exogène à une activité endogène). Il s’agit de développer une vigilance, notamment orthographique, pour accompagner le lecteur dans la mise en place de stratégies de retours en arrière et le scripteur dans la mise en place de stratégies de révision de textes (processus de haut niveau).
Nous partons du postulat que pour mettre en place cette vigilance orthographique, il est nécessaire que l’apprenant s’intéresse aux différentes informations que l’on peut extraire de la chaîne de caractères qui forme le mot.

LES ACTIVITÉS

Les schématisations permettent plusieurs types d’activités. Les activités de découverte et de compréhension du fonctionnement de certaines syntaxes et/ou formes de phrases et de leur transformation. Elles permettent aussi de renouveler une analyse, une transformation, une comparaison de phrases. Elles seront aussi utilisées pour la création d’une phrase à partir d’indices (pronoms, genre et nombre des noms) et enfin, elles nous permettront, à partir de la structure qu’elles présentent, l’utilisation d’un autre lexique. À l’issue d’une formation à cette démarche, la schématisation réalisée permettra de faire émerger une difficulté du fonctionnement de la langue écrite et de pouvoir la présenter visuellement tout en l’accompagnant d’un discours organisé et argumenté.

LES SCHÉMATISATIONS

Les schématisations sont généralement réalisées sur des documents au format A4 (21 x 29,7). Les phrases ou le texte sont tapés en utilisant une police de caractères lisible de type Arial ou Opendyslexic. Les espaces entre mots et les interlignes sont agrandis pour pouvoir tracer les cadres et les liens nécessaires. Des rectangles verticaux contenant les marques du pluriel sont tracés si cela est utile. Chaque chaîne d’accords est matérialisée par des liens. Les reprises anaphoriques sont, elles, représentées par deux accolades liées. Les fonctions sont indiquées en utilisant des couleurs correspondant aux codes locaux (ex. sujet en bleu, verbe en rouge...). Ces schématisations peuvent présenter du texte ou non, en fonction de l’objectif de la séance.

Extrait 1

Cet extrait présente une partie de schématisation traitant de la reprise anaphorique pronominale (chaîne orange).

Extrait 2

Cette deuxième schématisation est utilisée lors des premières séances avec des élèves de cours préparatoire. On voit que les marques du pluriel apparaissent dans des cadres verticaux.

Extrait 3

Sur ce troisième extrait, on peut voir que des informations supplémentaires apparaissent sur ce document. Ces informations ont été inscrites sur cette schématisation à la suite de recherches effectuées par les apprenants dans un ouvrage de grammaire de référence.

Extrait 4

Pour ce quatrième extrait, on peut observer une mise en relation de plusieurs structures traitant du même thème. L’étude se focalise alors sur les reprises anaphoriques et les chaînes d’accords.

Extrait 5

Ce cinquième extrait de schématisation propose une sélection de quatre phrases permettant de réfléchir sur le fonctionnement de la chaîne référentielle.

L’OBJECTIF PRINCIPAL

Aider le lecteur/scripteur à comprendre/produire des phrases, des textes, des paragraphes, des chapitres, des structures éprouvées, un lexique approprié à la situation d’énonciation et en s’appuyant sur toutes les informations données par l’ensemble des signes à sa disposition.

LA DÉMARCHE

L’efficacité des interventions s’appuie sur les 5 EX de la démarche ACIM. 

L’EXploration :

Ce sera le temps de l’observation du support, de la mise en mots. Chaque élément du document sera nommé par les élèves ou plus largement par les participants. Le lexique qui est proposé sera conservé par écrit pour être réutilisé lors des échanges ou de la réalisation des traces écrites.
 De quoi est composée cette figure, cette schématisation, cette modélisation ?
 Quels sont les liens que je peux faire entre ces tracés et mes connaissances ?
 Quels mots puis-je associer à ce que je vois ?

Les fonctions cognitives privilégiées seront les fonctions perceptivo-attentionnelles et les fonctions langagières.

Schématisation 7

Extrait de propositions faites par des élèves de CP :
 je vois des rectangles qui entourent les mots ;
 il y a des lettres ;
 il y a des traits partout ;
 c’est comme sur le cahier de mon grand frère en CM2, il dessine des carrés rouges autour des mots ;
 et des petit carrés en hauteur ;
 on voit des dessins comme sur le livre de la maîtresse (accolade sur le catalogue de la BNF) ;
 du noir, du rouge, du bleu ;
 il y a des lettres dans les carrés en hauteur ;
...

L’affiche réalisée par l’enseignante liste les mots :
 des rectangles qui entourent les mots ;
 des lettres ;
 des rectangles rouges ;
 des petits "rectangles" en hauteur ;
 des petits dessins (accolades) ;
 des couleurs (du noir, du bleu, du rouge, du vert) ;
 des rectangles (en hauteur) contiennent des lettres...

L’EXpérimentation :

C’est le moment de l’activité des participants ; la configuration sera groupale. Elle permettra et/ou déclenchera les échanges entre pairs et la production de traces écrites sur les schématisations elles-mêmes. L’utilisation de l’intuition, de raisonnements hypothético-déductifs, d’essais de formalisation, etc.
 Que peut-on faire de tous ces signes ?
 Peut-on construire des liens logiques ?
 Quel sens nous vient à l’esprit lorsque nous mettons en lien ces informations avec nos connaissances ?

Le médiateur recherchera à amener les apprenants à ce décentrer pour pouvoir considérer le point de vue de l’autre afin d’amorcer le passage d’une perturbation « interpsychique » à une perturbation « intrapsychique » ou autrement dit l’atteinte d’une production positive issue d’un « conflit socio cognitif ».

Les fonctions cognitives privilégiées seront les fonctions logiques et les fonctions langagières [2].

Schématisation 6

Ex. : traces écrites d’un élève d’une classe de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne)

Schématisation 8

Extrait de traces écrites d’un élève de l’ULIS de Santeny (Val-de-Marne)

L’EXplicitation :

Passage par la mise en mots pour rendre la démarche ou la découverte intelligible. Cette phase a plusieurs objectifs : la mise en commun d’une recherche réelle et la présentation du produit de cette recherche. L’argumentation par la présentation de preuves en sera l’outil principal. C’est par la confrontation des différentes représentations que l’activité prendra sens pour l’ensemble des apprenants du groupe.
 À quoi avons-nous pensé ?
 Comment l’avons-nous pensé ?
 Que s’est-il passé lorsque nous avons mis en commun nos découvertes individuelles ?
 Avions-nous compris, construit la même compréhension ?

Les fonctions cognitives privilégiées seront les fonctions langagières (fonction métalinguistique).

Schématisation 10

Extrait d’une présentation par des élèves de l’ULIS d’Ormesson (Val-de-Marne) :

Le "tous" représente ..."le roi Arthur" et "beaucoup de barons et de belles dames"...

Schématisation 9

Extrait d’une présentation par des élèves de l’ULIS d’Ormesson (Val-de-Marne) :

Allons, c’est "Aller" à l’impératif. C’est donc allons (nous) le ramasser. Dans le "nous" il y a un "je".

L’EXploitation :

C’est le temps du retour sur les découvertes, sur l’apprentissage nouveau. Ce temps de réflexion doit permettre de saisir l’utilité de ces nouvelles connaissances, dans quelles activités me seront-elle utiles.
 Mais à quoi peut me servir cet ensemble de nouvelles connaissances ?
 Quand et dans quel domaine allons-nous pouvoir nous en servir ?

Les fonctions cognitives privilégiées seront les fonctions langagières, les fonctions logiques, les fonctions mnésiques.

Pour mieux comprendre le texte présenté, l’enseignante propose de réaliser une schématisation permettant de visualiser les différents personnages (par l’étude de la chaîne référentielle).

Schématisation 13

Extrait d’un travail de compréhension d’un texte en lien avec une visite au Louvre (Élèves d’un IME du Val-de-Marne)

L’EXtension :

Cette "phase" est un temps qui permettra d’introduire ces nouvelles connaissances et/ou compréhensions dans un réseau beaucoup plus large que celui de la seule discipline dans laquelle elles ont émergé. C’est le moment privilégié de l’augmentation qualitative du "niveau de compréhension" [3].
 À quels autres réseaux de connaissances, domaines, disciplines, etc., puis-je les intégrer ?

Les fonctions cognitives privilégiées seront les fonctions symbolico-représentationnelles.


[1Barry V., Bédouin C., Bernad É., Fortun V. (2013). Dispositifs de formation pour une école inclusive - Accompagner des transformations pédagogiques, Savoir et formation, Paris : L’Harmattan

[3Hofstadter D. (1985). GÖDEL, ESHER et BACH - les Brins d’une Guirlande Eternelle., Paris : InterEditions