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Lucie et les papillons

Pas un conte de Noël, un conte pour Noël

dimanche 17 février 2008, par Catherine Foucault

J’ai écrit ce texte pour l’un de mes élèves. A ce moment, Noël était âgé de dix ans. Il était déjà à l’hôpital de jour depuis quatre ans pour un repli et un mutisme extrêmement inquiétants. Il y recevait les soins dont il avait besoin. Il y était également scolarisé. Au terme de cette période avec la même enseignante, il a paru opportun de le confronter à la nouveauté. Je l’ai donc accueilli dans ma classe avec deux autres élèves.
Au cours de l’une de nos matinées de travail, il s’était attardé sur l’illustration d’un papillon…Il n’en a pas fallu plus pour que germe en moi l’idée d’une histoire qui mettrait en scène le personnage qui lui avait donné à rêver : ou du moins, le souhaitais-je ainsi.
Le conte a remporté l’adhésion du groupe. L’écouter dans le calme a été possible et l’attention était palpable.
La modélisation quant à elle a permis que s’exerce leur intelligence. Tous sont rentrés avec une facilité déconcertante dans sa logique. Point d’appui à la mise en langage, la modélisation a autorisé la structuration des récits de chacun. Ainsi soutenu, même Noël, que je vous ai présenté comme mutique, a osé se risquer à raconter…
Enfin et non des moindres, c’est aussi le mot papillon qui lui a permis de comprendre et de rentrer dans la combinatoire.
Oh ! J’allais oublier, la configuration de la modélisation était également un plan de l’hôpital. Il a été plus simple alors de construire les emplois du temps de chacun d’entre eux, pour chaque jour de classe…

Catherine Foucault

Lucie et les papillons

Il y a bien longtemps, si longtemps que seuls les anciens se souviennent encore, vivaient un roi et une reine. Ils s’aimaient tendrement et étaient très heureux. Le roi gouvernait sagement et son royaume était prospère. La reine était belle et de bien douce compagnie. Aussi, très vite, de leurs amours naquit la petite princesse Lucie. Elle fit la joie de ses parents et enchanta toute la cour. On vint même de lointaines provinces pour lui rendre hommage. La petite princesse possédait en effet un don précieux. Quiconque l’avait vue repartait nourri d’espoir et de bonheur. La lumière et l’éclat de ses yeux, tel un grand soleil d’or, réchauffaient les coeurs, illuminaient les visages et faisaient naître des horizons merveilleux. Chacun repartait, sûr que ses rêves les plus fous, nimbés de ce regard si pur, deviendraient réalité. Même les étoiles au ciel s’émurent et saluèrent la naissance de cette nouvelle petite sœur.

Lucie grandit en compagnie de son cousin Léon. Le pauvre enfant vivait modestement avec sa mère. Son père était mort dans la terrible bataille que le royaume avait mené contre les barbares.
Lucie et Léon passaient de longues journées ensemble dans la nature. Ils jouaient dans l’eau des ruisseaux, sifflaient avec les rouges-gorges, courraient à en perdre haleine le long des champs pentus qui n’en finissaient pas d’accélérer leurs courses. Ces folles escapades retentissaient de leurs éclats de rire. Exténués, cherchant leur souffle, ils s’écroulaient dans l’herbe tendre. Lorsqu’enfin apaisés, ils se remettaient en route, c’était à nouveau pour surprendre le bond d’un lièvre qui s’éloignait de leur bruyante compagnie, mais surtout c’était pour gambader après les papillons. Léon les admirait et ne se lassait de contempler leurs somptueuses couleurs. Il était fasciné par les étranges dessins qui ornent parfois leurs ailes. Le reflet des volutes de velours l’invitait à rêver et à imaginer une personnalité à chacun de ses petits compagnons. Jamais aucun des graciles insectes ne s’ effarouchaient. Léon disait tout simplement qu’il savait leur parler et qu’il pouvait s’entretenir avec eux des sujets les plus variés et les plus sérieux. Lucie en riait, étonnée cependant car son cousin avait même été jusqu’à lui faire jurer, très solennellement, que jamais elle ne devrait l’interrompre dans leurs conversations. Il avait alors été si convainquant, si sérieux qu’elle se demandait bien s’il ne souffrait pas de quelque étrange maladie.

Hélas, tout ce grand bonheur fut un jour menacé. De maladie, il fut bien question, mais ce fut la Reine qui se mourut. La tristesse enveloppa le palais tel un brouillard froid et pénétrant. Le Roi ne quittait plus le chevet de sa mie. Avant de rendre son dernier souffle, elle lui fit promettre de se remarier afin de redonner une mère à sa petite Lucie. Le Roi tint son serment et peu de temps ne s’écoula avant qu’il n’épouse la sœur de la Reine : la mère de Léon. Le Roi pensa qu’ainsi faisant, jamais il n’oublierai sa belle. Et puis, il savait la joie qu’auraient les deux enfants à vivre sous le même toit. Il espérait que le chagrin de sa petite fille en serait amoindri.

Mais la nouvelle Reine se mit bientôt à nourrir de noirs desseins. De cette union, elle souhaita ardemment que Léon devint le seul héritier. Depuis le mariage fortuné de sa sœur, elle cherchait comment tirer profit de la situation. Elle n’hésita donc pas. Une nuit, drapée d’une longue robe noire et d’un voile épais qui la protégerait du regard de Lucie, elle enleva l’enfant et la conduisit dans les jardins du château. C’était en vérité un lieu bien étrange. Les allées étaient si serrées et les haies si hautes qu’elles formaient, pour une toute petite fille, un terrible labyrinthe. La méchante femme avait aussi pris soin d’administrer à l’enfant un breuvage qui devait la tenir endormie si longtemps que le Roi aurait déjà pensé qu’elle était morte. Le lendemain au palais fut un jour de grande agitation. On ne retrouvait plus Lucie. La petite princesse avait disparu. Le Roi était fou d’inquiétude. Sa femme morte si peu de temps avant, sa fille aujourd’hui introuvable... Il fit promettre une énorme récompense à qui la retrouverait. Toutes les personnes du palais se mirent à la chercher. On explora les moindres recoins du château. Les écuries, qui étaient très grandes, furent vidées. Les palefreniers sortirent chaque bête dans l’espoir de trouver Lucie endormie dans la paille. Le garde forestier s’en alla jusqu’à la rivière voir si quelque malheur n’était pas arrivé à la petite princesse. Le Roi lui même se rendit au moulin. Il savait que Lucie et Léon s’y retrouvaient souvent. C’était un lieu charmant avec un tilleul centenaire qui donnait de l’ombre dans les chaudes journées d’été. A son pied, reposait un vieux puits. Là, assis sur sa margelle, les deux enfants écoutaient la nature et respiraient les mille senteurs du géant et de ses nuées d’habitants. Le puits était bouché depuis bien longtemps mais le Roi était rongé par l’incertitude et le doute. Il trouva le lieu intact, étrangement tranquille. Trop tranquille puisqu’il ne résonnait pas du rire de son enfant chérie. Accablé par le poids d’un immense chagrin, il rentra. Au château, il retrouva sa seconde épouse. En horrible dissimulatrice, elle portait le masque de la douleur. Elle raconta au Roi comment elle s’était elle même assurée que Lucie ne s’était pas perdue dans les jardins du château. Comment elle avait pris chaque allée croyant à chaque détour y trouver l’enfant pour la ramener à son doux compagnon. Elle avait échoué et de lourdes larmes roulaient sur son visage. Le Roi trouva quelque réconfort devant tant de compassion : c’était si bon de se sentir aidé en une telle épreuve... Il ne vit pas le cruel sourire se dessiner sur le visage de sa femme.

Il se passa en effet bien des jours sans que l’on retrouve Lucie. Léon était bien triste. Le pauvre enfant errait seul. La nature ne lui paraissait plus aussi douce. Au crépuscule venu, il eut envie d’aller jusqu’au tilleul. Il s’assit sur la margelle, lorsqu’un papillon s’approcha de lui. Léon lui raconta l’immense chagrin qui le tenaillait, et la perte de son amie. Le papillon se souvenait bien de Lucie. Il se posa en douceur sur la main de son ami agitant légèrement ses ailes. Leur doux velours caressait sa peau et Léon en fut tout ému. Le papillon lui promit son aide. Il promit aussi de venir chaque soir prendre de ses nouvelles et il repartit vers sa vie de papillon de nuit. Alors qu’il cherchait quelques fleurs au délectable nectar, il fut attiré par une étrange lueur. Jamais il n’en avait vu de pareille. Elle était à la fois éclatante et douce. Il s’approcha bien sûr ! Il découvrit une petite fille au regard étonnamment pur. Lucie ! pensa-t-il. J’ai retrouvé Lucie ! Il voleta quelques instants au dessus d’elle et se rappela que la fillette ne leur avait jamais parlé. Pourtant cette fois là , elle l’implora : « Papillon, joli papillon, aide - moi ! Si seulement tu pouvais me délivrer ».
C’est alors que le petit insecte eut une idée. Il se rendit au royaume des papillons de nuit et parla à Sa Majesté des malheurs de Lucie. En vérité, le Roi était un grand paon de nuit, immense. Lorsqu’il déployait ses ailes, quatre grands ocelles effrayaient ses ennemis qui croyaient voir là, les yeux de redoutables chasseurs. Et pourtant, le Roi des papillons était un être plein de sagesse. Il ne pensa plus qu’à délivrer Lucie pour le plus grand bonheur de son ami Léon qui savait si bien les comprendre. Il prit son envol, escorté de tous les sujets de son royaume. Il se laissèrent guider par leur messager. Et bientôt, la nuit fut nimbée d’une aurore sans égal : ils trouvèrent Lucie. Le grand paon n’eut aucun mal à soulever la petite fille et à s’envoler avec elle jusqu’au château. Le Roi retrouva sa fille et fut transporté de joie. La Reine, devant tant de beauté et de grâce, s’agenouilla et implora le pardon de la fillette. Pour Léon, jamais bonheur ne fut plus total. Lucie, sa Lucie auréolée de papillons, s’en revenait vers lui.

Ils se promirent de rester ensemble toute la vie ...
Le Roi organisa aussitôt une fête qui dura des jours et des nuits afin que tous les papillons de la terre viennent tour à tour saluer ce grand bonheur.

Catherine Foucault

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